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Perlicules
1 mars 2020

No time to Die : un mariage et deux enterrements

Réalisateur : King Ampaw

Pays : Ghana

Année : 2006

No Time To Die

« Ils vont sur la lune mais ils ne savent pas si un homme est mort ! » s’esclaffe le patron de No Time to Die, une entreprise ghanéenne de pompes funèbres en lisant dans le journal le récit d’un Américain inhumé par erreur alors qu’il était encore vivant. Cette anecdote n’apparaît pas là par hasard car la même mésaventure arrivera à cette entreprise, venant conclure cette comédie romantique désopilante sur fond de convois funéraires. Asante est croque-mort et avec un tel métier aucune femme ne veut de lui. En haut de forme et queue de pie, il trimballe son corbillard de l’entrepôt au cimetière en compagnie de son jeune apprenti Issifu, un gamin débrouillard cachant constamment son regard derrière des Ray Ban. Le slogan de la petite entreprise : Dead on wheels. Il fait un jour la connaissance d’Esi, danseuse et employée d’un salon de beauté, qui vient organiser l’enterrement de sa mère et dont il tombe immédiatement amoureux. Mais les cérémonies funèbres ne sont pas les occasions les plus propices pour conter fleurette et de surcroit, le père d’Esi, un vieil alcoolique passant son temps à jouer dans la cour de la maison avec ses voisins rigolards, ne veut pas entendre parler d’une telle désunion. C’est là que va intervenir Kokuroko, un puissant sorcier retiré dans la campagne…

Si l’on en croit ce long métrage, le kitsch le plus outré semble alterner avec la tradition dans le rapport des Ghanéens à la mort. Le gamin qui repasse le costume d’Asante contre quelques sous est morigéné par une femme qui lui explique que faire une telle chose porte malheur mais Esi, lorsqu’il s’agit de choisir un cercueil pour sa mère, opte pour un modèle très « fantaisie » en forme d’avion de ligne et orné du titre Heaven Airlines. « Depuis quand est-ce que les filles achètent des cercueils ? » lui demande alors son père, outré par un tel luxe. On a coutume de déposer dans lesdits cercueils des bouteilles de schnaps pour agrémenter le voyage des chers disparus mais le corbillard d’Asante ressemble à une caravane de fête foraine, avec ses peintures rouge vif figurant des rideaux de théâtre, et il n’hésite pas à y ajouter un gyrophare pour doubler les autres voitures lorsqu’il est pressé. Tous ceux qui assistent aux enterrements portent des foulards rouges en signe de deuil mais la cérémonie, accomplie au son des cuivres avec un public assis sur des chaises de jardin, est suivie de la proclamation d’une série de dons faits à la famille (argent ou bouteilles de gin) qui a de tels airs de tombola qu’un convive s’écrie au sujet de la défunte : « Même morte, elle continue de faire du business ! » Tout est à l’avenant : la superstition et le sens du sacré côtoient à tous moments une certaine trivialité qui ne lasse pas de surprendre le spectateur occidental. Kitsch décomplexé aussi lorsque, dans chaque scène sentimentale où Asante et Esi se confient leur amour, le rythme trépidant de la comédie se suspend pour laisser place à quelques notes sirupeuses jouées à la guitare, toujours les mêmes, pour bien signaler le changement de registre. On est ailleurs, très loin de nos petites habitudes cinéphiliques.

Dans No Time to Die, les corbillards brinqueballent sur des chemins de campagne accidentés, s’arrêtant ici ou là pour ramasser un cycliste mort – car, comme le dit Issifu, « un cadavre est toujours le bienvenu » – et rentabilisant le trajet du retour du cimetière en transportant des troupeaux de chèvres, tandis que tout se marchande, même le prix des enterrements, et que tout se compte en millions de la monnaie locale et se paie en épaisses liasses. Les maris cuisinent à leurs épouses de la viande de coupe-herbe (une sorte de castor africain) pour s’assurer de leur fidélité et on fait boire aux beaux-pères du schnaps volé dans un cercueil pour faire tomber leurs réticences. Les aveugles prédisent l’avenir, les sorciers jettent des sorts et les morts ressuscitent parfois, mais seulement pour effrayer les personnages et faire rire les spectateurs. Une expérience dépaysante qui montre que l’humour, en dépit souvent de ses connotations culturelles particulières, demeure une chose très contagieuse et que le cinéma comique africain nous réserve souvent de belles surprises.

 

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