Réalisateur : Pablo Larrain

Pays : Chili

Année : 2012

Poursuivant son travail sur la mémoire chilienne après ses deux films Tony Manero (2008) et Santiago 73 Post Mortem (2010), Pablo Larrain clôt sa trilogie avec une œuvre très différente des précédentes, moins sombre, et qui nous raconte, en se plaçant d’un point de vue bien précis, comment le peuple chilien a pu chasser le général Pinochet du pouvoir. Mélangeant habilement les images de la fiction aux archives et aux anciennes images d’actualité de cette année 1988 (journaux télévisés, spots de campagne), le réalisateur réussit son exercice de style en décidant de tourner avec une caméra d’époque, présentant des images dans un format presque carré et offrant, bien loin du numérique et de la haute définition, un rendu typique d’une vidéo des années quatre-vingts : couleurs baveuses, reflets bleus ou irisés, découpage de la lumière en lignes, surexpositions. Visuellement, on croirait vraiment un film d’époque et cela permet une unité formelle entre le film et les extraits incorporés dedans.

Un mot pour situer le contexte : en 1988, sous la pression internationale, le gouvernement Pinochet se résout à organiser un référendum posant au peuple la question de savoir s’il veut garder le général au pouvoir ou organiser de nouvelles élections. Pour donner à cette campagne quelques apparences démocratiques, il offre pendant vingt-sept jours aux deux camps un temps d’antenne de quinze minutes à la télévision pendant lequel les forces en présence pourront diffuser leurs spots de campagne respectifs. Le film nous raconte comment René Saavedra, un jeune publicitaire, est démarché par le camp de l’opposition (notamment des partis de gauche) pour prendre en charge la réalisation de ces spots. Fils lui-même d’un militant de l’opposition, il accepte mais sans grande conviction, se présentant comme un personnage dépolitisé et surtout en quête de contrats commerciaux juteux. Opposant, aux vidéos rétrogrades et sérieuses du gouvernement, des vidéos joyeuses et modernes, il contribue à la victoire du non et à la chute de la dictature, non sans s’être mis à dos dans un premier temps un certain nombre de militants choqués par la légèreté avec laquelle il traite le sujet et fait l’impasse sur les aspects les plus tragiques du régime (répression, assassinats, enlèvements, etc.).

On ne peut en effet s’empêcher de ressentir une certaine gêne en regardant ce film (ce qui est peut-être l’effet voulu). Larrain, exerçant lui-même le métier de publicitaire quand il ne réalise pas de films, nous laisse croire deux choses problématiques : que ce sont les communicants qui ont gagné la lutte contre Pinochet et non les forces de la société civile (syndicats, partis, etc.) et que les armes utilisées contre la dictature (dictature soutenue par la CIA, rappelons-le, et utilisée par l’Occident comme terrain d’expérimentation pour la mise en application des nouvelles thèses néolibérales) sont elles-mêmes le fruit d’un aspect du régime de Pinochet, à savoir le primat d’une communication fondée sur les catégories du capitalisme : le consumérisme, le strass, l’esthétique publicitaire fortement américanisée, la réification des idées (on vend le non au référendum comme on vendrait une bouteille de soda). Il n’est que peu question de politique ou de questions sociales dans ces spots de l’opposition, on y voit seulement un arc-en-ciel (le logo de la campagne), des gens qui rient et font du sport, des couples heureux qui dansent, des concerts rock, des jingles entêtants… Qui a gagné la campagne au final ? Les démocrates, qui sont parvenus à renverser la dictature ? Ou la société de consommation, imposée de force par cette même dictature ? La réponse n’est pas facile à donner. Concluons donc avec ce mot éloquent d’un membre de l’équipe de campagne de Pinochet dans le film qui dit : « Avec le capitalisme, n’importe qui peut devenir riche. Je n’ai pas dit tout le monde, j’ai dit n’importe qui. » Nuance…

Bande annonce

No : la démocratie est-elle un produit comme les autres ?

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