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Perlicules
2 janvier 2017

Under the Shadow : La femme qui portait des djinns

Réalisateur : Babak Anvari

Pays : Iran

Année : 2016

Under the Shadow 02

A une époque mondialisée dans laquelle les pays judéo-chrétiens, Etats-Unis en tête, imposent leurs normes culturelles en matière de cinéma d’épouvante, il est toujours intéressant de voir comment les grands thèmes de la peur sont traités dans des cinématographies extérieures à cette aire civilisationnelle-là, par exemple dans les pays musulmans. Ces films sont malheureusement peu exportés, à la fois en raison de leur provenance exotique et à la fois parce qu’ils relèvent du cinéma de genre, ce qui constitue un handicap supplémentaire. Je me souviens, entre autres découvertes, de Zombies from Kampung Pisang (Mamat Khalid, 2007), cette curieuse horror comedy malaisienne dans laquelle les personnages, harcelés par des morts-vivants, sont persuadés qu’il est plus efficace, pour leur échapper, de prier que de fuir…

Avec Under the Shadow, le décalage culturel semble un peu moins marqué, peut-être du fait que la forme, assez classique, doit beaucoup aux standards internationaux du cinéma d’horreur. La spécificité iranienne est plutôt à chercher du côté du contenu, qui mêle modernité (la vie quotidienne sous la République islamique) et anciennes superstitions (la croyance aux djinns). Tourné en Jordanie, le film débute en nous présentant le personnage principal, Shideh (la très belle et très gracieuse Narges Rashidi), en entretien avec un fonctionnaire de l’université de Téhéran qui lui signifie qu’il lui est impossible de reprendre ses études de médecine du fait qu’elle s’est fourvoyée, durant la Révolution de 1979, en militant dans un groupe d’extrême gauche. C’est un coup dur pour elle car elle a toujours rêvé de devenir médecin, métier qu’exerce d’ailleurs son mari Iraj. Ils forment un couple d’Iraniens modernes, de formation supérieure et qu’on devine issus de la classe moyenne, ce qui sous-tend une vision relativement progressiste de la condition féminine. Or, cette mauvaise nouvelle crée des tensions au sein du couple et Shideh se met à penser que son mari, peut-être plus empreint de conceptions patriarcales qu’il veut bien l’avouer, n’est finalement pas si mécontent de la situation : il a perdu une consœur en médecine et gagné une femme au foyer. Elle aura ainsi tout loisir de s’occuper de leur fille, Dorsa, tandis que lui est régulièrement appelé dans les zones de combats (le pays est en pleine guerre contre l’Irak) pour porter secours aux blessés.

C’est lors d’une de ses affectations dans une autre région, alors qu’il laisse seules son épouse et sa fille à Téhéran, que les problèmes commencent. La capitale est menacée par des tirs de missiles et il a fortement conseillé à Shideh d’aller vivre un moment chez ses beaux-parents, en province, mais sa femme s’obstine à rester en ville on ne sait trop pourquoi, vraisemblablement pour prouver à son mari qu’elle est capable de faire face à la situation seule, histoire de sauver la face suite à ses déconvenues universitaires. Or, Téhéran est réellement en danger, un missile vient même une nuit se planter dans le toit de l’immeuble (heureusement sans exploser) et, jour après jour, les différentes familles voisines déménagent, qui en province, qui pour rejoindre de la famille à l’étranger, et Shideh et sa fille se retrouvent bientôt seules dans le bâtiment déserté. La progression de cette retraite générale est d’ailleurs très bien évoquée à travers une série de scènes où, réveillés durant la nuit par une alerte, les habitants de l’immeuble descendent dans la cave pour s’abriter d’un éventuel bombardement : les voisins assis dans le noir sont de moins en moins nombreux, et l’héroïne et sa fille finissent par être les dernières à répondre à cette alerte et à se cacher. Entretemps, la jeune femme est confrontée à d’autres problèmes, d’un tout autre type : Dorsa est tombée malade, elle a une mauvaise fièvre et réclame obsessionnellement sa poupée, perdue on ne sait où et qui semble impossible à retrouver. Il s’avère qu’elle aurait pu être enlevée par un djinn, ces esprits maléfiques de l’Orient qui subtilisent les effets personnels auxquels les gens sont les plus attachés pour pouvoir les hanter ou les posséder. La très rationnelle Shideh, férue de sciences et de modernité, n’en croit d’abord rien, malgré les mises en garde d’une voisine qui lui assure que les djinns existent bel et bien puisqu’ils apparaissent dans le Coran… Certaines manifestations surnaturelles de plus en plus impressionnantes finissent pourtant par la convaincre. Dès lors le dilemme central du film est posé : il faut quitter la ville au plus vite pour fuir les bombardements irakiens mais il n’est pas possible de partir avant d’avoir retrouvé la poupée de Dorsa, sans quoi cette hantise ne prendra jamais fin. A ces événements étranges vient s’ajouter l’arrivée dans l’immeuble de Mehdi, un petit orphelin d’une famille tuée à la guerre, recueilli par des voisins, qui est muet et avec qui pourtant Dorsa prétend discuter. Les problèmes de type politique et sociologique (état de guerre, marge de manœuvre limitée d’une femme seule) ne cessent de se mêler aux problèmes paranormaux (appartement hanté).

Comme film d’horreur, Under the Shadow s’inscrit dans la lignée d’un certain classicisme dans ce qui se fait dans ce genre-là ailleurs et notamment en Occident. Les mouvements de caméra, les effets de surprise, la montée des tensions, les jump scares : tout est assez maîtrisé sans laisser beaucoup de place à l’innovation. L’originalité est à chercher plutôt dans le contexte de l’action. Shideh, comme un certain nombre d’Iraniennes de sa classe sociale et de son milieu socio-éducatif, vit en permanence une forme de double identité : ce foulard qu’elle met ou qu’elle enlève plusieurs fois par jour, selon le lieu où elle se trouve et les gens qu’elle rencontre ; ce magnétoscope qu’il faut cacher aux voisins de peur de se faire dénoncer et de le voir confisqué ; cette arrestation en pleine nuit dans la rue par les bassidjis (les gardiens de la Révolution) parce que, terrifiée par le djinn, elle est sortie précipitamment avec sa fille sans avoir pris le temps de se voiler ; ces discours politiques et religieux claironnés à la radio qui côtoient la musique d’une vidéo de Jane Fonda que Shideh écoute lorsqu’elle fait ses exercices d’aérobic… L’aspect « politique » ou « féministe » du film doit évidemment être considéré avec une certaine distance critique : nous savons par expérience que la grande majorité des films iraniens projetés et salués en Occident le sont justement parce que, à l’image de Persépolis, des Chats persans et d’autres longs métrages, ils livrent un discours hostile au régime actuel et à la Révolution de 1979. Under the Shadow n’a donc de valeur cinématographique que tant qu’on n’y cherche pas le prétexte d’une quelconque instrumentalisation idéologique. Pour le reste, c’est un film de fantômes de bonne facture, bien mené d’un bout à l’autre.

 

Voir la bande-annonce

 

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