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Perlicules
16 juin 2013

Chronicle : quand la notion de caméra subjective prend tout son sens…

Réalisateur : Josh Trank

Pays : USA

Année : 2012

Chronicle

Le found footage, dont j’ai déjà eu souvent l’occasion de parler sur ce blog et notamment durant l’édition 2012 du NIFFF, est un genre de plus en plus prisé par les jeunes cinéastes car il permet de faire des films à petit budget et de créer des histoires à partir d’éléments visuels a priori ordinaires. Mais le jeune réalisateur Josh Trank (27 ans) prend ce raisonnement à contrepied et c’est ce qui fait l’originalité de son film : s’il choisit le found footage, c’est pour d’autres raisons, puisque son film a coûté tout aussi cher qu’une grosse production classique et que les éléments visuels qu’il met en scène sont tout sauf ordinaires dans la mesure où ils ont nécessité de gros effets spéciaux et font plus appel au monde de l’imaginaire qu’à celui du quotidien. En cela, l’autre film auquel on pourrait le comparer serait Cloverfield (Matt Reeves, 2008), métissage novateur entre found footage et blockbuster à grand spectacle.

L’histoire se passe à Seattle. Andrew, lycéen introverti et mal dans sa peau, subit la précarité de sa famille, accentuée par la maladie grave de sa mère et les accès de colère et de violence d’un père alcoolique. La première scène montre d’ailleurs, filmée de la chambre du fils, les coups balancés contre la porte depuis le couloir par le père, et Andrew explique qu’il a acheté cette caméra pour filmer tout ce qui lui arrive. On ne sait s’il considère cette démarche comme une sorte de thérapie personnelle contre son mal-être ou comme enregistrement de preuve en cas de démêlés avec la justice (suite à un éventuel conflit avec son père) mais cette amorce est importante car une des bases scénaristiques de tout found footage, c’est de justifier la présence d’une caméra tournant en permanence, sans quoi on retombe dans les artifices du cinéma classique. Voilà pour l’amorce.

Andrew, accompagné de son cousin Matt (un vague étudiant en philosophie qui cite à tout bout de champ et sans véritable à-propos Schopenhauer, Jung ou Platon) et de Steve, un autre étudiant attiré, lui, par la politique, ils découvrent d’étranges cristaux dans un trou, au contact desquels – comme on le comprendra dans la seconde partie du film, la première caméra ayant été brisée et le tournage n’ayant repris qu’après trois semaines – ils acquièrent des pouvoirs magnétiques fabuleux, une sorte de télékinésie leur permettant de déplacer les objets à distance et même de voler. Cette coupure est une bonne idée du scénario car elle nous fait plonger de plain-pied dans le récit de la seconde partie, créant l’effet de surprise sans explication préalable, nous laissant deviner ce qui a pu se passer durant ces trois semaines de off : la découverte de ces pouvoirs par les trois garçons, leur acceptation, leur volonté de les “apprivoiser” et de les cacher aux autres et – conséquence de tout cela – la formation d’une vraie amitié entre eux, solidarité née des circonstances alors qu’ils n’avaient auparavant pas grand chose en commun.

Je n’en dirai pas trop sur le récit pour ne pas le déflorer auprès de gens qui n’ont pas encore vu le film mais je dirai seulement qu’il y est question d’abord – sur un mode ludique ramenant le spectateur à ses vieux fantasmes d’enfants – de la découverte joyeuse par les trois héros de leurs pouvoirs, qu’ils utilisent dans un premier temps pour jouer et faire des farces, puis d’une réflexion sur la maîtrise des ces pouvoirs, des risques qu’ils impliquent, de l’ivresse qu’il peut procurer, du contrôle de soi. Le cas d’Andrew, jeune homme frustré qui pense prendre sa revanche sur la vie grâce à ce don du ciel mais qui ne parvient qu’à extérioriser sa frustration dans de folles destructions matérielles et humaines, n’est pas sans faire penser à celui de l’héroïne de Carrie au Bal du Diable (Brian de Palma, 1976), où Stephen King qu’une persécutée devenue puissante ne pouvait que retomber dans l’impasse de la persécution. La dernière scène (le délire mégalomane et apocalyptique d’Andrew poussé à son paroxysme dans une débauche d’anéantissement) rappelle également le film Akira (Katsuhiro Otomo, 1988). Si le propos n’a rien de réaliste, la vraisemblance se situe non pas dans la situation de départ (l’obtention surnaturelle de pouvoirs extraordinaires) mais dans l’usage qu’en font les trois jeunes gens, usage anecdotique et auquel n’importe quel garçon de leur âge pourrait penser bien avant de vouloir sauver le monde ou d’en devenir le maître : faire léviter des chips jusqu’à sa bouche, réussir des jeux de construction sans les mains, soulever les jupes des filles, déplacer une voiture sur un parking, accomplir de faux tours de magie pour épater les copains, jouer à la balle tout en volant dans les nuages, faire des ricochets sans toucher la surface de l’eau, faire des farces aux enfants en faisant s’animer un ours en peluche…

Le procédé du found footage rencontre quand même quelques limites et c’est là où le film pêche par manque de vraisemblance. Il y a bien sûr quelque chose d’ingénieux dans cette manière de tricher avec les règles du genre, comme lorsque les trois garçons utilisent leur pouvoir télékinésique pour faire léviter la caméra, ce qui offre deux possibilités techniques tout à fait absentes des autres films de found footage : cela permet à tous les personnages à la fois d’être présents à l’image (puisque la caméra n’a plus besoin de personne pour tourner) et cela permet de réaliser des mouvements de caméra qui n’ont plus rien de tremblotant et qui ressemblent à s’y méprendre (ce qu’ils sont en réalité !) à des travelings effectués depuis des grues. Mais il arrive aussi que ces innovations jouent à contre-emploi. Le réalisateur choisit, pour avoir un déroulement le plus suivi possible et le moins morcelé, de nous montrer des images de l’histoire à chaque fois qu’une caméra tourne, même si ce n’est pas celle d’Andrew. Ainsi, on a une sorte d’effet de ping-pong visuel entre la caméra principale et celle d’une jeune blogueuse qui apparaît dans certaines scènes et qui, elle aussi, filme tout ce qui lui arrive, ou avec des caméras de surveillance qui, lors de la dernière scène, sont tellement nombreuses et offrent une succession de prises de vue tellement diversifiées qu’on finit par se croire… dans un film normal. En voulant trop en montrer, Trash a en quelque sorte, surtout dans le dernier quart d’heure, rompu avec les codes du found footage, brisant ainsi l’effet d’immersion qu’il était parvenu à créer au début de son film.

Une critique assez originale circule çà et là sur internet dont je ne sais que penser mais qui remet en cause l’ensemble des autres critiques, expliquant que contrairement à ce que le found footage laisserait supposer, il faudrait considérer les images montrées non comme des images de la réalité filmée mais comme des illusions générées par le personnage subjectif derrière la caméra. Pourquoi des illusions ? Parce qu’Andrew et ses amis seraient en fait des toxicomanes : les pouvoirs dont ils sont persuadés de jouir n’existent pas, ils ne sont que l’effet d’un trip, un mélange d’hallucinations visuelles et d’impression de puissance et d’invincibilité, deux syndromes courants chez les consommateurs de drogues. Une scène, en effet, pourrait appuyer cette hypothèse : le père d’Andrew découvre un jour la caméra de son fils et lui reproche cet achat inconsidéré ; il ajoute qu’il a regardé les bandes et qu’il a vu qu’il passait son temps à s’amuser avec ses amis au lieu d’étudier ou de s’occuper de sa mère. Il a donc visionné les bandes et n’a rien vu d’extraordinaire, ni lévitation d’objets, ni vol plané de son fils dans la stratosphère… Le doute demeure, bien sûr, puisqu’on sait le père alcoolique et qu’on peut aussi douter de sa perception à lui, mais tout laisse à croire dans cette scène qu’il pourrait y avoir une double lecture du film et qu’on pourrait peut-être être cette fois plus proche de Las Vegas Parano que du Projet Blairwitch

 

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