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Perlicules
4 mai 2013

Une Vierge chez les Morts-Vivants : un titre trompeur pour une rêverie poétique

Réalisateur : Jesus Franco

Pays : Belgique-France-Italie-Liechtenstein

Année : 1971

Une Vierge chez les Morts Vivants

Encore un film de Jesus Franco, me direz-vous ! Mais on y a déjà eu droit la semaine passée avec Vampyros Lesbos ! Quid de la diversité, principe fondamental de ce blog ? Le fait est que je prépare actuellement un article sur Jesus Franco pour le prochain numéro de la revue Eléments, ce qui m’oblige à revoir plusieurs de ses films, me laissant peu de loisir pour de nouvelles expérimentations. Aussi, tentant de faire d’une pierre deux coups, j’en profite pour vous entretenir des pièces de sa filmographie qui me paraissent mériter le détour. C’est assurément le cas d’Une Vierge chez les Morts-Vivants qui, à ce stade de ma découverte de l’œuvre franquienne (évitons le terme “franquiste”), est la plus belle réussite du réalisateur espagnol. Je l’avais par erreur programmé dans un cycle de projections consacrées aux nanars il y a quelques années mais en le revoyant je suis bien obligé de réviser mon jugement : ce film vaut bien mieux que ça, on y trouve un charme certain ainsi qu’une atmosphère réellement envoutante.

Ne nous fions pas aux apparences toutefois : à part la présence d’un château et d’une femme nue, les autres éléments de l’affiche (zombies, chauves-souris, pleine lune) sont absents dans le film, et le titre n’a que peu de rapport avec le récit, pas plus que le second titre sous lequel il est parfois distribué, Christina Princesse de l’Erotisme. Le titre choisi par Franco, La Nuit des Etoiles Filantes, aurait sans doute été plus approprié mais il n’a malheureusement pas été retenu par la production. Inspiré d’une nouvelle du romancier espagnol Gustavo Adolfo et tourné au Portugal, le film raconte l’arrivée de la jeune Christina au château de Montesserat où elle doit rendre visite à son oncle Howard et à sa tante Abigail pour ouvrir le testament de son défunt père. Seulement, selon les gens qui vivent dans la vallée, le château serait inhabité depuis longtemps. Elle y retrouve néanmoins sa famille ainsi que Carmensé, une blonde lascive se traînant à moitié nue toute la journée un verre de whisky à la main et dont on ne sait quel lien de famille elle entretien avec les autres, et le domestique muet et attardé Basilio, joué par Franco lui-même. Le reste du scénario est confus : on y croise un voisin, vieux comte pervers espionnant les baigneuses, un jeune homme dont on pense qu’il pourrait être le héros masculin du film mais qui disparaît après dix minutes de présence, un pèlerin de Sainte-Cécile ronchonnant devant une chapelle fermée, le fantôme du père mort, une lesbienne aveugle et adepte de sado-masochisme et une somnambulesque Reine de la Nuit errant dans les jardins. Sans parler d’un grand phallus totémique que Christina balaie d’un mouvement de bras sur le plancher d’une chambre démeublée dans une scène anecdotique et insensée ou des chauves-souris (ou des feuilles mortes, on ne voit pas bien) qui apparaissent ponctuellement sur son lit. Bref, nous avons là un objet cinématographique très étrange mais qui enivre comme un spiritueux plus trouble que translucide.

On y retrouve Howard Verdon, un des acteurs favoris de Franco, en oncle débonnaire et sarcastique, qui brille particulièrement dans la scène de la veillée funèbre d’Erminia, une autre membre de la famille, veillée durant laquelle, la cigarette au bec, il joue du piano (piano qui, étonnamment, produit un son d’orgue) tout en ânonnant des banalités en latin de cuisine (vanitas vanitatis… de gustibus et coloribus non discutant… sic transit gloria mundi… verba volent, scripta malent… etc.) tandis que la très indolente Carmensé se vernit les ongles des orteils et que la morte ne parvient pas à s’empêcher de bouger un peu les pupilles… On est très proche des procédés surréalistes d’un Bunuel, tout comme dans cette autre scène où le notaire lit le testament du père de Christina en sautant un mot sur dix sur fond sonore des ronflements de Basilio. Car c’est un film avant tout fait de scènes assez disparates et qui ont presque plus d’intérêt en soi que dans l’ensemble, à moins que l’effet hypnotique ne réside justement dans cette espèce d’absurdité assumée, de patchwork incompréhensible qui laisse le spectateur errer à l’image des habitants du château.

Si les maladresses du jeu et de la réalisation sont nombreuses, ce sont des maladresses heureuses car ce sont elles qui contribuent à donner au film cette atmosphère unique, avec ces ruptures nettes et presque aléatoires entre les plans, ces dialogues faussement anodins prononcés sur des tons très appuyés, ces bourdonnements dans la bande-son. Et que dire de cette idée déroutante consistant à filmer l’ensemble des scènes du film à la lumière du jour, y compris les scènes nocturnes, la nuit étant seulement suggérée par un rétrécissement de la focale… Choix technique par défaut sans doute, mais il n’empêche qu’il y a une vraie poésie dans ces scènes de “nuit diurne” nous montrant le père de Christina pendu lévitant sous la ramure des arbres, la Reine de la Nuit avançant entre les bosquets accompagnée d’un chœur féminin ou – lors de la scène finale, dans une belle aube grise – les membres de la famille rentrer l’un après l’autre dans l’étang du jardin qui n’est autre que le Styx. « Le temps qui passe est aussi long la nuit que le jour » explique tante Abigail un matin au moment du petit-déjeuner lorsque Christina lui demande si elle a passé une bonne nuit. Et comme elle s’étonne d’être la seule à manger, oncle Howard clôt sur une note déclamatoire : « C’est que nous n’avons pas beaucoup d’appétit… Pas beaucoup ! » Et tous de rire de bon cœur. Je conclurai donc ma chronique sur cette réplique, elle n’a pas de sens elle non plus et ne vaut que pour la beauté du geste.

 

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