Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Perlicules
24 mars 2013

Post Tenebras Lux : écoutons les arbres tomber

Réalisateur : Carlos Reygadas

Pays : Mexique

Année : 2012

Post Tenebras Lux

Il y a des films ratés qui se laissent voir avec plaisir, parfois même avec une certaine admiration. C’est assurément le cas de Post Tenebras Lux dont chaque scène, prise séparément, fait montre d’une beauté formelle indéniable, voire, pour les plus réussies, d’un véritable état de grâce, mais dont l’ensemble paraît n’avoir aucune cohérence ni aucun équilibre. Reygadas a peut-être voulu, comme le grand Buñuel qu’il admire et qui a lui aussi beaucoup tourné au Mexique, créer une atmosphère surréaliste en accolant les unes aux autres des séquences sans rapport apparent pour mieux dérouter le spectateur, briser toutes les attentes et créer un trouble, mais il n’y est pas parvenu. Le montage surréaliste n’a rien d’un exercice d’écriture automatique et nous n’avons là qu’une suite de situations décousues, déstructurées, quelque chose de gratuit dans le mauvais sens du terme qui ne déroute pas vraiment mais laisse seulement dubitatif.

L’histoire, car il y en a tout de même une, est celle de Juan et Natalia, un couple bourgeois vivant avec leurs deux jeunes enfants, Rut et Eleasar, dans le décor à la fois idyllique et inquiétant de la forêt mexicaine. Les petits expriment l’innocence et la joie de vivre mais leurs parents n’ont pas le moral au beau fixe : Juan est un homme impétueux volontiers violent avec les animaux, sa femme est plutôt sombre et les deux tentent de pimenter leur sexualité dans une boîte échangiste (qui, on ne comprend pas bien pourquoi, se trouve en France, et dont les salles portent des noms aussi prestigieux que la salle Hegel ou la salle Duchamp). Juan a de plus quelques problèmes avec un de ses employés, un paysan surnommé Le Sept, qu’on présente d’abord comme son ami et qui l’emmène à une réunion des Alcooliques Anonymes (bien que Juan ne soit pas dépendant à l’alcool mais à la pornographie en ligne) mais qui, en même temps, travaille pour le frère à Natalia qui veut nuire à cette dernière en coupant un arbre qui lui appartient, et finit par tirer à bout portant sur Juan lors du cambriolage de sa maison. Pris de remords après la mort de son patron, il s’isole dans la nature et s’auto-décapite à mains nues. Tout cela entrecoupé d’autres scènes dont on ne saisit pas bien la signification : des projections dans l’avenir, cinq à dix ans plus tard, dans une fête de famille ou au bord de la mer, une équipe de rugby junior anglophone qui s’entraîne dans un champ, un diable rouge luminescent qui pénètre nuitamment dans une maison avec une boîte à outils. On reste perplexe.

Le film a malgré tout obtenu le prix de la mise en scène à Cannes. Loin de moi, d’ailleurs, l’intention de vouloir le présenter comme un échec absolu à ranger aux poubelles du septième art, car il n’en est rien. Reygadas n’est vraisemblablement pas parvenu à donner la cohésion qu’il aurait fallu à son œuvre mais certaines de ses scènes sont visuellement saisissantes. Dans ces grandes forêts où le craquement des hauts arbres qui tombent résonne dans le silence, on sent l’influence du Stalker de Tarkovsky ou celle du Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul. L’arbre y est en effet un élément omniprésent et on y trouve, comme chez ces deux cinéastes, cette contemplation d’une nature toujours à la fois belle et un peu menaçante, enveloppée de brume et d’humidité. Les lumières sont souvent superbes, la photographie a quelque chose de pictural. Le réalisateur a opté, dans de nombreuses scènes, pour une lentille qui crée un effet de flou dans les bords de l’écran, entrainant un dédoublement de l’image en périphérie qui donne au spectateur une légère impression d’ivresse.

Quoi qu’il en soit, du point de vue de l’esthète, les deux premières minutes du film pourraient suffire à le sauver. La scène d’ouverture est d’une beauté hypnotisante ! On y voit la petite fille du couple, filmée à sa propre hauteur, déambuler peu avant le crépuscule dans un champ gorgé d’eau, comme après une averse, clopinant dans les flaques et parmi des chiens, des vaches et des chevaux, nommant tout ce qu’elle voit et tournoyant au hasard de ses petits pas mal assurés, suivis par une caméra virevoltante. La lumière orangée du soir, la forêt derrière et le montagne au loin, les reflets dans les flaques, l’herbe détrempée, la course des animaux, la physionomie de l’enfant : tout dans ces deux brèves minutes concourt au sublime ! Je ne peux que vous renvoyer à la scène elle-même, visible en streaming sur cette page.

 

Bande-annonce

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité