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Perlicules
21 octobre 2012

Daisies : Pop art à la tchèque avec marguerites et sautillements

Réalisateur : Vera Chytilova

Pays : Tchécoslovaquie

Année : 1966

Daisies 01

Nous tenons avec Daisies un exemple parfait d’une perlicule telle que je l’apprécie. Elle en a en effet toutes les caractéristiques : œuvre rare, méconnue, difficile à débusquer, inclassable, “exotique” à tous points de vue, imaginative, originale au-delà de toute mesure, novatrice et absolument unique. Il s’agit de plus d’un de ces films vifs et rafraichissants qui inspirent la jovialité et nous font penser qu’avec un cinéma tel que celui-ci l’existence vaut assurément le coup d’être vécue !

Film de la Nouvelle Vague tchèque très influencé par le pop art, l’œuvre a valu à sa réalisatrice, Vera Chytilova, d’être interdite de travail pendant huit ans. Non pas pour sa présentation très malicieuse des rapports entre hommes et femmes ni pour sa manière de dynamiter certaines conventions sociales, mais pour une scène de gaspillage alimentaire (le pillage d’un banquet fastueux écrabouillé par les hauts talons des deux héroïnes dansant sur la table) qui, en ces temps souvent difficiles, est apparue comme moralement intolérable – ce qui, historiquement, peut tout à fait se comprendre. La réaction de certaines autorités politiques a été si outrée que Vera Chytilova s’est carrément vue traiter d’ennemie de l’intérieur devant le parlement tchèque !

Mais parlons du film, qui doit être à mon avis apprécié pour ce qu’il est en soi, indépendamment de toute polémique extérieure. On y suit deux jeunes filles, une brune et une blonde – la première étant toujours coiffée d’une couronne de marguerites, d’où le titre du film. Les deux vivent ensemble dans un appartement fantaisiste et désordonné dont les murs sont recouverts de numéros de téléphone de soupirants et le lit encombré de pommes vertes. Leurs journées se passent à danser, à tenir des conversations souvent sans queue ni tête et à arnaquer des hommes d’âge mûr en cherchant à se faire inviter dans des restaurants où elles s’empiffrent tant qu’elles peuvent. Il leur arrive également de mettre le feu à leur chambre, de se maquiller d’étrange façon, de cuisiner sur leur lit, de se faire des bains de lait, de chaparder des épis de maïs dans les champs ou de se cacher dans des monte-charges. Leurs seuls alliés en ce monde sont une gentille dame-pipi qu’elles croisent régulièrement et les vieux barbons qu’elles séduisent, tous les autres sont scandalisés par leur comportement, par leur exubérance, par la manie qu’elles ont de s’incruster là où on ne les attend pas, de jouer les pique-assiettes et de fouler aux pieds tous les usages. C’est pour ceux-là que ce film a été réalisé et le générique de fin nous dit qu’il est « dédié à ceux qui ne s’indignent que de la salade piétinée ». Référence à un problème plus grave que celui de la salade, comme la menace soviétique ? Peut-être.

Quoi qu’il en soit, ce film, qui renverse toutes les structures narratives et transcende toutes les bornes de l’imagination, est un chef-d’œuvre qu’il est urgent de découvrir ! Daisies est bourré de trouvailles formelles admirables : les changements de décors impromptus, le passage récurrent de la couleur au noir-et-blanc, l’usage très rétro des lentilles de couleur, le motif répété des fleurs, des papillons et des pommes qui éclate çà et là dans des petits montages de transition, les bruitages de métronome ou de machine à écrire, les expérimentations sonores sur les chuchotements et les grincements, les jeux de perspective des prises de vue. Et surtout cette joie, cet entrain, cette truculence, cette espièglerie magnifiques des deux comédiennes livrées tout entières au surréalisme de l’action ! Tout est musical, tout est sautillant, enjoué, sauvageon, et on assiste en sus à la scène d’ivresse féminine la plus charmante de toute l’histoire du cinéma ! Une vraie perle !

 

Bande annonce

 

 

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