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Perlicules
7 juillet 2012

Sons of Norway : entre “peace and love” et “no future”

Réalisateur : Jens Liens

Pays : Norvège

Année : 2011

Sons of Norway

De la part de Jens Liens, le réalisateur du génial The Bothersome Man, on ne pouvait que s’attendre à quelque chose de bien. De fait, Sons of Norway, même s’il n’atteint pas l’excellence du précédent, vaut le détour. Inspiré d’un roman de l’écrivain norvégien Nikolaj Frobenius, le film, situé en 1978, raconte les relations problématiques d’un père et d’un fils, le premier étant un architecte hippie dénué d’autorité et conquis par les méthodes pédagogiques les plus modernistes, et le second un jeune garçon déstabilisé et passionné de culture punk. Contrairement aux deux autres films chroniqués cette nuit, celui-ci tire tout son intérêt du fond, du contenu, et relègue la forme, plus classique, à un rôle de vecteur.

Comme dans The Bothersome Man, nous sommes dans la critique sociologique la plus féroce et la plus acide, présentée sous une forme résolument tragi-comique. Après s’être attaqué en 2006 à la facette sécuritaire, artificielle et aseptisée de la société norvégienne, il s’en prend cette fois aux excès du progressisme, aux idéologies post-soixante-huitardes, à cette classe sociale empreinte de néo-marxisme, de freudisme et de libération sexuelle que le dessinateur de BD Lauzier avait brocardé en son temps de manière réjouissante. Et les trouvailles scénaristiques pour tirer le portrait au vitriol du père de famille, personnage attachant mais complètement irresponsable, ne manquent pas. Il est celui qui décore son sapin de Noël avec des bananes, à la fois pour faire la nique à la tradition chrétienne (qu’il déteste bien évidemment) et pour manifester son mépris des théories créationnistes, la banane étant célébré à cette occasion comme le plat préféré de nos ancêtres les singes. Il est celui qui défend son fils face au proviseur de l’école (qui se plaint d’avoir été assommé par une bouteille de bière durant un discours patriotique) et reproche à ladite école de ne pas remplir sa mission qui devrait être d’« apprendre aux enfants à se rebeller ». Il est celui qui, d’abord déstabilisé par la passion de son fils pour la musique punk (« ce Johnny Rotten qui est contre tout, même contre les chômeurs, les hippies et les pro-avortements ! »), finit par s’y rallier, la comparant à la révolte dadaïste du début du siècle, et va même jusqu’à remplacer le temps d’un concert, dans un groupe d’adolescents, le batteur malade d’un abus de cocaïne… Bref, un père moderne et responsable.

C’est toute la nuisance de l’idéologie gauchiste d’une partie de la bourgeoisie scandinave qui est mise en cause, celle qui refuse la verticalité, qui réclame l’égalitarisme jusqu’au sein de la famille, qui s’exprime en concepts creux, qui est tétanisée par l’idée de vieillir et veut faire table rase de tout ce qui a pu faire la stabilité d’une société. Le ton est donné dès le début, durant le repas de Noël réunissant deux familles d’amis, lorsque les enfants font irruption dans le salon, brandissant des panneaux en carton et scandant des slogans contestant le patriarcat et le pouvoir parental, menés par deux mini-féministes d’une dizaine d’années. La réaction des parents est révélatrice : ils applaudissent à cette application réussie de leur théorie pédagogique (l’enseignement de la rébellion) et se mettent à scander avec les enfants leurs slogans contre l’autorité familiale ; du coup, ces derniers se taisent, comprenant inconsciemment qu’il y a comme une contradiction…

C’est l’idéologie de la pureté, de la transparence, qui domine chez ce singulier père de famille, celle du bon sauvage néo-rousseauiste, celle de la haute vertu libertaire et des libres enfants de Summerhill. Transparence symbolisée par son obsession d’architecte à bâtir des maisons en verre, où rien ne serait caché à personne. Transparence qui le pousse à fréquenter des camps de vacances nudistes, au grand désarroi de son fils, pudiquement caché derrière un caleçon aux couleurs de l’Angleterre, nation de ces nouveaux rebelles qui appellent Dieu à sauver la reine. Transparence qui frôle dangereusement la tentation pédophile lorsqu’on le voit jouer sans retenue avec une gamine de quatorze comme s’il était son égal ou lorsqu’il propose carrément à ses fils d’assister à l’accouplement de leurs parents… Caricature excessive ? Difficile à dire vraiment, tant il est vrai que ni l’époque ni la société dont il est question ne nous sont familières.

Nous ne sommes plus en 1978 certes, certaines vieilles lubies sont tombées, mais les pays scandinaves restent des pays très à part en Europe pour tout ce qui touche à la question des mœurs. Leur progressisme social fort intéressant s’accompagne souvent d’un progressisme sociétal et culturel situé aux antipodes de la partie latine du continent. N’est-ce pas là que les théories du genre, qui relativisent la réalité biologique du sexe en la “culturalisant”, sont allées le plus loin ? N’est-ce pas dans cette région d’Europe qu’on a fondé l’école Egalia, qui refuse la réalité de la différence sexuée ? N’est-ce pas là, dit-on, qu’on oblige les petits garçons à uriner assis par mesure d’égalité ?...

Dans la lignée (retransposée ailleurs) d’un film comme American Beauty (Sam Mendes, USA, 1999), Sons of Norway peut-être vu comme un diagnostic au scalpel porté sur une société donnée, son cadre idéologique, ses anomalies, ses dérives. Ce qui n’empêche pas qu’on y rie beaucoup, que la forme soit très dynamique, très vive. Le conflit de générations improbable entre ce géant roux norvégien à la longue barbe bouclée et à la pipe fumante et cet adolescent glabre et poupin à la joue transpercée d’une épingle à nourrice (esprit destroy oblige) donne des confrontations hautes en couleur. Le tout sur un fond sonore à base de Sex Pistols, d’Internationale chantée en norvégien et de… Beethoven.

 

La phrase du film

Un punk : « Tout est de la merde et il n’y a que quand tu auras compris ça que tu comprendras aussi que tout est possible. C’est la liberté, mais la liberté c’est de la merde. Et la merde, c’est la liberté. »

 

Voir la bande-annonce

 

 

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